« Le parcours de la Constitution 2022 : entre le rêve de la démocratie et les dangers de la dictature », Massar Doustour Tounes 2022,Par Touhami Garnaoui*
Selon Ibn 'Arabī, le grand mystique du XIIIe siècle, l'enfer a été créé à partir d’une parabole : [Dans la géhenne] il y a la faim, parce que Dieu l'a créé de la splendeur de sa parole, mentionnée dans la Récolte des traditions authentiques de Muslim : "J'avais faim et tu ne m'as pas nourri, j'avais soif et tu ne m'as pas désaltéré, je suis tombé malade et tu n'es pas venu me rendre visite". C'est la révélation personnelle la plus formidable avec laquelle Dieu est descendu vers ses serviteurs, dans sa bonté envers eux. L'enfer a été créé à partir de cette réalité, à Dieu ne plaise, vous et moi !
(Sha‘rānī, *Yawāqīt*, vol. II, p. 463, résumant Ibn ‘Arabī, *Futūḥāt*, vol. I, p. 297 ; cf. aussi Manā‘ī (2004, p. 128))
On aurait espéré voir là l'origine du désaccord entre le professeur et l'étudiant-président. Malheureusement, tel n'est pas le cas.
Nous nous référons à :
1. **Juin 2022** – Le président-coordinateur du Haut comité national consultatif pour la nouvelle République, Sadok Belaïd, a remis au président de la République, Kaïs Saïed, le draft de la constitution. Le chef de l’État a souligné que le projet de constitution n'est pas définitif et que certains de ses articles pourraient être revus.
Cité par *African Manager*, Amin Mahfoudh a affirmé que ce qui a été présenté au président de la République, Kaïs Saïed, n’est pas un projet mais plutôt une mouture proposée de la Constitution de 2022. Il a appelé le président à publier cette version pour que le peuple soit informé du contenu de la proposition de la commission, en attendant la version finale, qui sera soumise à référendum et publiée au Journal officiel au plus tard le 30 juin. Il a exprimé l’espoir que cette proposition soit publiée le 25 juin.
Dans une déclaration sur *Jawhara FM*, Amine Mahfoudh a révélé que le président serait le seul représentant du pouvoir exécutif dans ce nouveau régime, assisté par un Premier ministre issu du parti vainqueur aux législatives.
Il a ajouté : l’interdiction de la normalisation avec Israël n’a pas été ajoutée dans la nouvelle Constitution, étant donné que cela relève de la politique de l’État.
2. **1er juillet 2022** – Ne reconnaissant pas la mouture qu’il avait rédigée avec ses collègues, et selon *Kapitalis* : « visiblement gêné aux entournures, se sentant floué, roulé dans la farine, instrumentalisé voire humilié », Amine Mahfoudh a publié un post Facebook reprenant, avec douloureuse ironie, les paroles d’une chanson de Francis Bebey :
*« Agatha, ne me mens pas / Ce n’est pas mon fils / Tu le sais bien / Ce n’est pas mon fils / Tu le vois bien ».*
*Kapitalis* observe :
« Personne n’a obligé M. Mahfoudh à s’associer à une opération qui, dès le début, paraissait viciée : car il devait, lui et ses collègues, proposer un texte au président de la République, qui était libre d’en faire ce qu’il voulait. Et le locataire du palais de Carthage ne s’est pas privé d’y mettre tout ce qu’il a voulu. »
3. **Dimanche 3 juillet** – Sur *Shems FM* :
« Ce texte est devenu dangereux. Il prévoit une présidence avec tous les pouvoirs et sans possibilité aucune pour l’opposition. En gros, le président fera ce qu’il veut sans être inquiété. C’est pour moi un retour vers le système de Ben Ali. On est dans le pétrin », a déploré A. Mahfoudh, appelant le président à réviser le projet de constitution paru au JORT.
4. **4 novembre 2022** – Le professeur de droit Amine Mahfoudh a affirmé que, pour poursuivre son mandat sur un fondement constitutionnel, le président Kaïs Saïed devait organiser une élection présidentielle, en vertu de la nouvelle constitution adoptée par référendum le 25 juillet.
Sur *Attessia TV*, il a indiqué avoir expliqué au président que la promulgation d’une nouvelle constitution implique la mise en place de nouvelles institutions, notamment une élection présidentielle.
Le professeur et ami Amine Mahfoudh a voulu courtoisement me dédicacer son livre intitulé *« Le parcours de la Constitution 2022 : entre le rêve de la démocratie et les dangers de la dictature »*, en arabe : *« Massar Doustour Tounes 2022, bayna houlm ed-dimoqratia wa makhatar ed-dictatourya »*.
Ayant suivi personnellement une partie de la polémique rappelée ci-dessus, exposée publiquement après la publication du texte officiel de la nouvelle constitution — non conforme à la mouture, à l’attente et au souhait du Haut comité —, et au vu de la situation dramatique dans laquelle verse la Tunisie, je m’attendais à trouver dans son livre moins le pamphlétiste en quête de revanche contre l’élève irrespectueux, et davantage l’universitaire proposant un regard scientifique objectif, débouchant sur des recommandations utiles. Non pas pour ramener les anciens partis (Ghannouchi, Abir Moussi, Karoui, Hammami, Chebbi, etc.) au nom d’une démocratie parlementaire importée, mais pour aider le président et le peuple de Tunisie à sortir de l’ornière.
Pour éviter une polémique inutile, disons-le clairement : le texte du Haut comité consultatif est sous-tendu par une idéologie dite universelle, certainement supérieure à celle des constitutions précédentes, et même à celle du texte final approuvé par référendum mais boudé par l’opposition.
A. Mon ami Mahfoudh ne peut oublier que tout résultat dépend des conditions d’emploi. Toute démocratie dépend du contexte où elle s’exerce. La Tunisie n’est pas la France, la France n’est pas la Tunisie, les États-Unis et les grandes banques forment une autre réalité. L’État tunisien ne jouit pas de la même souveraineté que l’État français, lequel ne jouit pas de la même que l’impérialisme des États-Unis ou celui des grandes banques. La démocratie, comme la concurrence, exige un minimum de parité entre les différents joueurs.
Ce qui vaut pour les relations internationales vaut aussi pour les relations internes. La mondialisation ou l’internationalisation des économies agit comme un recadrage de la contrainte extérieure impérialiste. Elle impose une suprématie apparente du marché. La privatisation profite principalement aux institutions financières, ne procure pas les avantages attendus, et se révèle souvent déstabilisante. L’inadaptation croissante des administrations mène parfois à leur déliquescence. Ce constat révèle l’impuissance de l’État — son incapacité à gérer l’ensemble du territoire ou de l’économie.
Lecture Critique du livre de Amin Mahfoudh
Chronique d’une trahison constitutionnelle : quand les idéaux juridiques se heurtent aux réalités politiques
